Cette semaine dans la blogosphère running #9
Côté Course
La TDS de Timothée
Les 100km de Millau des lapins runners
Les 100km de Millau de Damien
Les 100km de Millau de Greg
C'est au tour de Laurent P. plus connu sous le nom de Lolotrail de se prêter au jeu de l'écriture sur le thème "Elle court..."
Il lui a dit qu’il serait là, qu’il l’attendrait. Au fond, c’est bien la seule chose qui la motive car il faut
bien le reconnaître, si elle était impatiente d’être là, ça n’est plus vraiment le cas aujourd’hui.
Pourtant, des victoires, elle en a connu, certes des victoires intérieures mais des victoires quand
même. Elle n’a jamais failli, c’est une de ses qualités, toujours continuer quel que soit le chemin,
qu’elles que soient les embûches.
Jeune, c’était une fillette pleine d’entrain, toujours un sourire, les yeux pétillants de bonheur. Elle a
grandi avec sa famille et beaucoup d’amis, quelques autres filles mais beaucoup de garçons, il faut
dire qu’elle était très jolie. Une enfance comme beaucoup pourraient en rêver en quelques sortes,
elle avait tout pour elle, elle avait tout avec elle. Elle aimait étudier et elle aimait le sport, elle voulait
devenir kiné ou bien encore agent de sportif et elle faisait ce qu’il fallait pour y arriver. Finalement, la
seule chose qui s’est révélée être contre elle, c’est d’avoir vu le jour en 1977 en Algérie.
Le départ de la course fut un instant magique. Tout ce monde autour d’elle l’impressionnait mais elle
sentait cette aura, ce bien-être si particulier qui lui donnait confiance. Les premiers kilomètres, elle
suivait le rythme des autres, assez soutenu d’ailleurs mais elle n’y pensait pas. Ce qui lui importait,
c’était d’avancer.
Elle avait 15 ans cet été de 1992. Elle avait de la famille en France et pour la première fois, ses
parents l’avaient laissé voyager seule. Elle était responsable, prudente, la laisser prendre l’avion ne
présentait pas de risques particuliers. C’était à la fin de l’été, le 26 août, sur le chemin du retour,
elle est descendue de l’avion à Alger, elle a récupéré son bagage. Elle a alors arboré un large sourire
lorsqu’elle a vu sa mère derrière les vitres de l’aéroport. Elle s’est mise à courir pour la rejoindre.
Seulement, elle n’y est jamais arrivée.
Au bout d’une heure de course, elle se sentait encore bien malgré les quelques contractures qui
commençaient à apparaître. Elle était concentrée sur sa foulée, « un pas, puis un autre, c’est comme
ça qu’on avance » se disait-elle. Alors elle avançait.
A cette époque, la guerre civile algérienne battait son plein et ce 26 août, le bruit sourd et la
fumée épaisse de l’explosion sont ces principaux souvenirs. Sa mère et 8 autres personnes n’ont
pas survécu, elle faisait partie des 128 blessés. Elle a gardé un autre souvenir de ce jour-là, elle se
souvient de la dernière chose qu’elle faisait avant le grand fracas : elle courait pour rejoindre sa
mère. Cette sensation est encore en elle aujourd’hui, courir a depuis été sa principale motivation. Ne
pas courir pour échapper à l’horreur, non, ce jour là, elle courait vers le bonheur.
Les douleurs augmentaient au fur et à mesure que les kilomètres défilaient. Elle se répétait que ça
n’était pas important, mais tout de même, elle n’arrive plus à les ignorer. Ca fait 1h30 qu’elle court et
le rythme s’affaiblit. Mais la tête est plus forte que les jambes, elle avance.
Après l’attentat, elle a dû travailler très dur pour retrouver l’usage de ses jambes. Elle est retournée
en France pour se faire soigner, elle aura été hospitalisée en tout 17 long mois. Au début, elle
pleurait tous les jours et au fil du temps, elle a compris qu’elle avait une revanche à prendre. Elle
s’est dit que si elle était toujours vivante, c’était pour accomplir de grandes choses. Alors elle s’est
battue, chaque pas devant une victoire, un record.
Après 17km, les premières crampes apparaissaient. Alors elle s’est arrêtée un instant, le temps que
ça passe. Cet instant, si court fut-il, lui a semblé duré des heures. Alors elle a décidé de repartir
malgré tout, bien décidée encore à en découdre. Avancer reste son seul mot d’ordre.
Au bout de 21 mois de convalescence, elle se promenait dans le parc de l’hôpital sans l’aide de sa
béquille. Elle n’en avait plus besoin et elle en était heureuse car ce qu’elle voulait, c’était courir pour
revivre la dernière sensation heureuse qu’elle a connu. Elle a fait ses premières foulées au bout de 23
mois et s’est mise à courir tous les jours, tant qu’elle le pouvait. Oh bien sûr, au début, ça n’était que
quelques minutes mais au fil du temps, elle est arrivée à courir une heure.
Cela fait plus 2 heures qu’elle s’est embarquée dans cette épreuve mais cette fois, le moral est en
berne, la tête ne suit plus, elle se met à marcher. Depuis le début, elle a vu beaucoup de coureurs la
doubler mais là, c’est pire. N’écoutant que son amour propre, elle tente de repartir en courant.
Elle s’est entraînée tous les jours depuis la sortie de l’hôpital, elle n’a jamais manqué un jour, quel
que soit le temps, la saison. Des fois le matin, d’autre le soir. Elle a repris ses études et à la moindre
pause, elle fait des exercices d’assouplissement. Les médecins français lui avaient montré comment
faire, indiqué les bons gestes. Elle courait maintenant facilement durant 1h30.
Cette fois, les jambes sont lourdes, elle est fatiguée. Pourtant, ça n’est pas fini, l’arrivée n’est pas
encore toute proche. Marcher la fait réfléchir. Elle pense aux raisons qui l’ont poussé à prendre le
départ, elle pense qu’elle aurait très bien pu ne jamais faire cette course. Alors même en marchant,
avancer reste l’objectif du moment.
Il lui a dit qu’il serait là, qu’il l’attendrait. Elle s’en souvient à ce moment précis où l’abandon est
proche alors elle ne craque pas. Ses jambes pourtant si fébriles il y a quelques années arrivent à la
supporter encore après l’effort qu’elle a déjà accompli. Alors elle continue.
Cette fois ça y est, elle voit l’arche d’arrivée. Elle jette un coup d’œil derrière, il n’y a plus personne.
Plus exactement, il n’y a plus de coureurs car c’est en fait une foule de supporters qui la suit,
l’accompagne, l’encourage. Ils ne connaissent pas son histoire mais ils connaissent la difficulté et le
dépassement de soi que la course représente. Elle se sent portée, elle se remet à courir. Plus que
quelques mètres et ça en sera fini.
Une larme coule le long de sa joue, elle repense à ce jour de 1992, elle revoit sa mère. Elle entend les
cris des spectateurs qui scandent son nom qu’ils ont lu sur son dossard. Le speaker donne également
de la voix pour la soutenir et enfin elle franchit la ligne d’arrivée du Marathon d’Alger. Peu importe le
temps, peu importe le classement, elle a couru. Elle a couru mais pour n’échapper à rien, aujourd’hui
elle a couru vers le bonheur, un bonheur aussi simple que de pouvoir se jeter dans les bras de son
père.
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